Etudier ou travailler dans le numérique, un danger pour la santé mentale ?

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C’est un sujet de plus en plus présent dans les débats publics et les discussions entre collègues de travail ou les étudiants : la santé mentale et physique au travail. Si le burn out est aujourd’hui un fléau bien identifié, l’ergomanie ou Workaholisme est encore une addiction trop peu connue. Et pourtant, elle touche un nombre croissant de salariés comme d’étudiants.


Etudier ou travailler dans le numérique, un danger pour la santé mentale ?

C’est un sujet de plus en plus présent dans les débats publics et les discussions entre collègues de travail ou les étudiants : la santé mentale et physique au travail. Si le burn out est aujourd’hui un fléau bien identifié, l’ergomanie ou Workaholisme est encore une addiction trop peu connue. Et pourtant, elle touche un nombre croissant de salariés comme d’étudiants.


La santé physique et mentale, un sujet préoccupant pour les salariés et les étudiants ?

Pour les étudiants des écoles du Web comme pour les salariés des entreprises, indépendamment de leur secteur d’activité, la santé et le bien-être au travail sont devenus des enjeux cruciaux. La crise sanitaire du coronavirus, et ces deux dernières années de confinement, de couvre-feu et autres mesures sanitaires ont accentué les inquiétudes et les attentes en la matière. Dans une étude réalisée pour Apicil, OpinionWay souligne ainsi que près d’une entreprise sur deux (49 %) estime que cette crise a eu un impact important sur les conditions de travail et la santé de leurs collaborateurs. [1] Une autre étude[2] souligne par ailleurs qu’un salarié sur trois (33 %) est inquiet pour son bien-être physique et psychologique, une inquiétude largement partagée par les chefs d’entreprise (63 %).

On pense bien évidemment à la multiplication des situations d’épuisement professionnel. Alors que de plus en plus d’entreprises s’efforcent de prendre en compte le bien-être de leurs collaborateurs dans leur gestion quotidienne, le Burn out continue de faire des ravages, sans que cela ne concerne, contrairement à une idée reçue, que les cadres et les managers. Aucune catégorie de salariés ne semble épargnée par ce mal-être professionnel, et certains observateurs s’alarment même en soulignant que l’on retrouve des symptômes similaires chez un nombre croissant d’étudiantes et d’étudiants. Si les peurs et les incertitudes nées des différentes crises, sanitaires et économiques, peuvent expliquer en partie la situation, d’autres explications, plus personnelles et moins répandues dans la société, peuvent également être mises en avant.

 

Quand le travail ou les études prennent le pas sur tout le reste : l’ergomanie !

Le workaholisme est un phénomène connu depuis bien longtemps, puisque théorisé à la fin des années 1960. Bien qu’il soit difficile de définir précisément cette pathologie, l’Institut national de Recherche et de Sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS) considère que le Workaholisme se caractérise par

  « un investissement excessif d’un sujet dans son travail et une négligence de sa vie extraprofessionnelle ».

Il faut cependant distinguer celui ou celle, souffrant de cette forme d’addiction, du « gros travailleur », capable de supporter une surcharge de travail pendant une période limitée. Désignée aussi sous le nom d’ergomanie, le Workaholisme désigne bien une addiction au travail. Si cette dernière peut se constater dans tous les secteurs d’activité et pour toutes les typologies d’emploi, force est de constater qu’elle semble plus répandue dans l’univers du numérique, qu’il s’agisse d’étudiants préparant leurs examens ou d’Experts du Web déjà insérés sur le marché du travail. Parce que le sujet reste tabou ou tout du moins difficile à aborder, les études sur le sujet sont encore trop peu nombreuses pour en déterminer l’importance réelle. 

 

Le workaholisme, un danger contre lequel les étudiants doivent  se protéger

Comme pour de nombreux phénomènes, ce constat a été initialement dressé outre-Atlantique, s’agissant notamment des étudiantes et des étudiants se destinant à une carrière dans le Digital. Pour les salariés comme pour les étudiants, le constat est toujours le même. Le travail excessif se fait toujours au détriment de la vie personnelle, comme si les études ou l’activité professionnelle primaient sur tout le reste. Toute l’énergie est consacrée au « travail », épuisant peu à peu celles et ceux qui sont victimes de cette addiction. En assumant une charge de travail surdimensionnée et en disant « oui à tout », le patient ergomane est en règle générale apprécié de ses enseignants et/ou de ses managers, même si ces relations sont appelées à se dégrader rapidement. Au Canada, la professeure titulaire au Département de management à HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations, Mme Estelle Morin résume parfaitement cette relation du travailleur ergomane aux autres :

« À brève échéance, il produit de bonnes performances, mais à plus long terme, il devient un collègue qu’on fuit, car il épuise les autres autant qu’il s’épuise lui-même. »


Le numérique, un risque accru de devenir ergomane

Cet épuisement favorise l’apparition des signes de burn out, et  on peut logiquement s’interroger sur les raisons faisant de l’éco système du numérique un terreau favorable à l’émergence d’une telle addiction. En effet, si cette addiction au travail fait aujourd’hui encore l’objet de nombreux débats parmi les professionnels concernés, de plus en plus d’observateurs soulignent que la transformation digitale a amplifié le phénomène, qui était, jusque-là, considéré comme une question de personnalité. Alors même que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans des stratégies visant à mieux accompagner leurs salariés dans la gestion « Vie privée – Vie Professionnelle », les salariés, eux, seraient plus nombreux également à faire de leur vie professionnelle le  seul sujet d’importance. La digitalisation de nos économies jouerait alors un rôle aggravant, faisant des professionnels du Web mais aussi des étudiants engagés dans des études numériques, des cibles privilégiées. Dans un récent article, deux spécialistes s’accordent à souligner que l’ergomanie ne peut être définie comme une seule problématique relevant de l’individu, en expliquant que les causes sont à rechercher « davantage dans le rapport qu’il entretien avec le travail et avec les autres »[3].

Et le numérique serait en la matière une source regroupant tous les risques d’apparition de cette addiction. Les outils numériques, favorisant la connexion permanente et le travail à distance (ou le e-learning), brouilleraient ainsi un peu plus les frontières entre vie personnelle et vie professionnelle. Les auteurs détaillent les différents processus, conduisant à cette aggravation de l’addiction avant  d’affirmer que le Workaholisme :

« (…) est favorisé par l’utilisation excessive des technologies de l’information et de la communication (TIC) » 3

 

Les études supérieures dans le numérique, un risque accru de devenir ergomane ?

Quelle que soit la spécialité envisagée, du Bachelor Consultant Développeur Digital au  Mastère Digital Marketing, les étudiantes et étudiants d’aujourd’hui sont confrontés à des stress aussi nombreux que distincts :

  • La peur de ne « pas réussir à obtenir son diplôme », une crainte partagée par tous les étudiants quel que soit leur domaine d’activité,
  • Le stress de devoir assimiler d’innombrables compétences à une époque où la flexibilité et les méthodes agiles sont devenues la règle en matière d’organisation du travail,
  • L’apparente contradiction entre cette exigence de Hard Skills et cette recherche tendance de Softs  Skills par les recruteurs,
  • La certitude, indépendamment du diplôme préparé et du cursus suivi, qu’il faudra veiller à se former tout au long de sa carrière professionnelle afin de pouvoir s’adapter à des innovations toujours plus rapides à apparaître,
  • L’injonction faite à tous les étudiants de penser à leur « développement personnel » et à leur « bien-être mental et physique », alors même que le marché du travail est traversé par une quête de la performance,
  • Les conséquences anxiogènes de crises diverses (Covid-19, Guerre en Ukraine, crise économique, …) avec les conséquences économiques désastreuses pour de nombreux étudiants,

 

Et comme nous l’avons vu ci-dessus, parce qu’ils étudient dans une école du Web et/ou qu’ils suivent un cursus numérique, ils sont soumis à cette transformation des liens aux autres, rendant encore plus difficile la nécessaire prise de distance et faisant du Workaholisme un  risque accru. La prise de conscience de cette menace invisible reste la meilleure prévention[4], puisque les étudiants et étudiantes sont armés pour pouvoir lutter efficacement (droit à la déconnexion, recherche de « sens au travail », aspiration à de nouvelles façons de travailler (nomadisme digital), …). Aussi peut-on espérer, que la France ne connaitra pas la même évolution qu’au Canada, où des groupes de Workaholists Anonymes ont vu le jour pour accompagner les victimes à sortir de cette addiction.




[1] « La prévoyance aujourd’hui et demain : perceptions et attentes des dirigeants d’entreprise », sondage d’ OpinionWay pour Apicil, publié mercredi 8 juin,

[2] Enquête flash Malakoff Humanis « Et si ma mutuelle… », réalisée du 10 février au 10 avril 2022

[3] « Peut-on encore parler de Workaholisme à l’heure du numérique ?  » dans Références en Santé au Travail n° 156 (Décembre 2018)

[4] « Peut-on encore parler de Workaholisme à l’heure du numérique ?  » dans Références en Santé au Travail n° 156 (Décembre 2018)